La caporale-cheffe (à la retraite) Natalie Forcier, originaire d’une petite ville du nord de la Saskatchewan, a décidé de s’engager dans les Forces armées canadiennes pour pouvoir voyager, explorer et, bien sûr, servir son pays. Elle était loin de se douter que sa carrière militaire lui permettrait de s’épanouir et de se découvrir pendant 14 ans.

Ses voyages l’ont menée de Montréal à Winnipeg, puis en France et à bien d’autres endroits.

Mme Forcier a vécu avec des troubles de santé mentale après avoir reçu son congé des Forces pour des raisons médicales et comme elle est ancienne combattante, on l’a sélectionnée pour participer en 2018 à l’expédition féminine de Les Fleurons glorieux sur l’île de Baffin. Cette aventure sans précédent a réuni un groupe d’anciennes combattantes et de cheffes d’entreprise de partout au pays : elles ont découvert le cercle arctique en raquettes, ont parcouru le col d’Akshayuk et ont visité la partie nord de la Owl River Valley. Au cours de son périple, Mme Forcier a bénéficié d’un mentorat précieux offert par des cheffes d’entreprise, ce qui l’a motivée à démarrer sa propre entreprise afin d’aider les anciennes combattantes et les anciens combattants qui en ont besoin.

Nous avons eu l’occasion de nous entretenir avec Mme Forcier au sujet des retombées de l’expédition sur sa vie et des raisons qui la motivent à continuer d’appuyer Les Fleurons glorieux.

Quel est votre souvenir préféré de l’expédition?

Ce que je préfère de l’expédition, c’est l’influence fondamentale qu’elle a eue sur ma vie après avoir fait la randonnée. Au cours de l’expédition, je pouvais faire part de mon expérience à des cheffes d’entreprise qui manifestaient un intérêt sincère pour les épreuves et les tribulations vécues par les militaires, et cela m’a touchée.

Encore plus particulièrement quand nous sommes atterries à Pangertang, qui était notre dernière destination avant de reprendre l’avion pour retourner d’où nous venions. Nous nous sommes alors réunies en groupe pour participer à un dernier cercle de partage. Libby, la dame la plus âgée de notre groupe, a raconté que ses proches et sa famille l’avaient félicitée pour sa détermination à faire une randonnée de 100 km en Arctique. Elle en parlait toujours comme si de rien n’était. Puis après l’expédition, elle a réalisé l’ampleur de ce qu’elle avait fait. Ce qu’elle a dit ensuite a changé ma vie depuis : « Je ne minimiserai pas mes réalisations ». Ces mots m’ont fait prendre conscience que les récits dont j’avais fait part aux cheffes d’entreprise et qui semblaient les fasciner avaient une valeur bien plus grande que ce que mon cœur et mon esprit leur attribuaient.

Pour moi, ça représente un virage dans ma vie et au cours de ma transition de la vie militaire à la vie civile : ça m’a donné de l’espoir et m’a fait réaliser que mon parcours et mes réalisations ne méritent pas d’être minimisés. Cela m’a donné la force de faire face à mes difficultés sans atténuer les traumatismes que j’ai subis et de valoriser mes réussites sans minimiser leur influence sur ma vie.

Que signifie cette expédition pour vous?

Quand je me suis inscrite pour participer à l’expédition, je venais de recevoir mon congé des Forces pour des raisons médicales et je me sentais complètement perdue face à la transition vers la vie civile. Après être retournée vivre dans ma ville natale, dans le nord de la Saskatchewan, je me sentais complètement déconnectée de ma vie d’adulte comme je l’avais vécue jusque là.

Plusieurs camarades militaires m’ont envoyé des renseignements sur la mission de Les Fleurons glorieux et sur les expéditions qui, à leur avis, pourraient m’intéresser. Comme je me sentais isolée et que je ne savais pas quoi faire, il fallait que je sorte de ma zone de confort et que je m’implique au profit d’une cause qui joue un rôle important auprès des anciennes combattantes et des anciens combattants ainsi que de leurs familles.

Je ne pensais pas du tout que le fait de participer à la mission de Les Fleurons glorieux, qui consiste à influencer la vie de personnes qui servent, me permettrait de retrouver une partie de moi que j’avais perdue dans l’entraînement et l’endoctrinement militaires. Cela m’a permis de réaliser que mes expériences uniques au sein des Forces me donnaient également une perspective unique pour continuer à épauler les hommes et les femmes qui ont servi. L’expédition m’a aidée à trouver ma voix et m’a donné un objectif à réaliser.

Quels conseils donneriez-vous à une personne qui se prépare pour sa première expédition?

Selon moi, le meilleur conseil à donner à une personne qui se prépare à participer à sa première expédition serait d’« accepter les emmerdes », une expression militaire bien connue qui illustre l’idée que la croissance ne peut venir que des défis que l’on se lance à soi-même.

L’expédition permet de vivre pleinement une expérience avec des personnes qui pensent comme vous, qui vous appuient et qui vous encouragent à réussir ainsi qu’à vous épanouir. Tout comme dans l’armée, à certains moments, votre petite voix intérieure vous empêchera de vous concentrer sur la mission qui vous attend. Croyez en vous et en votre force et votre résilience. Libérez-vous de votre confort habituel et de vos liens quotidiens : ça vous aidera grandement à vous rétablir!

Qu’avez-vous appris à votre sujet pendant l’entraînement et ensuite pendant la randonnée?

Plusieurs choses m’ont rappelé ma force et ma résilience face aux défis, par exemple sortir de ma zone de confort pour m’entraîner, me rapprocher d’un incroyable groupe de femmes au caractère déterminé et de réussir à faire la randonnée avec une équipe solide. J’ai dû réapprendre à m’adapter et à surmonter les difficultés, comme je l’avais fait trop souvent au cours de ma carrière militaire. J’ai également appris la plus grande leçon de toutes : j’ai une vie à vivre après le service. L’expérience m’a aidée à retrouver le sens et le but de mon existence grâce aux conversations, aux moments de silence et à la détermination à réussir en équipe!

Comment votre vie a-t-elle changé depuis que vous avez participé à l’expédition?

Quand je me suis inscrite à l’expédition Baffin, je vivais les pires difficultés liées à ma transition vers la vie civile et on ne n’avait pas encore diagnostiqué chez moi le trouble de stress post-traumatique. Je me sentais isolée de la seule vie d’adulte que je connaissais, une vie qui se déroulait à un rythme effréné et qui changeait ou évoluait sans cesse. L’expédition m’a permis de continuer à vivre après le service et d’évoluer dans un domaine que je connais bien, c’est-à-dire le milieu médical et la vie militaire.

Depuis ce voyage, j’ai été propriétaire de deux cliniques médicales qu’une plus grande entreprise a récemment achetées afin d’élargir notre portée en matière de soins de santé auprès des anciennes combattantes et des anciens combattants ainsi qu’à leurs familles. Je suis coordonnatrice des relations auprès des anciennes combattantes et les anciens combattants afin de les aider à bénéficier de services médicaux et de les orienter vers les services socio-économiques de la région. La possibilité de renouer avec mes confrères et consœurs militaires a contribué pour beaucoup à ma guérison.

Je collabore aussi étroitement avec une équipe de recherche internationale qui aide des anciennes combattantes et des anciens combattants avec des troubles de stress post-traumatique et qui les envoie au milieu de la jungle amazonienne, au Pérou. Ça leur permet de se déconnecter du monde, de renouer avec leurs pairs et de profiter des bienfaits thérapeutiques et transformateurs d’une myriade de plantes médicinales. J’ai l’impression d’être une personne complètement différente et j’ai retrouvé ma passion pour la vie et le monde du service, une passion que j’avais déjà à tout juste 18 ans.

Que retenez-vous du mentorat civil?

Ce que je retiens de mon mentorat civil, c’est que tout ce que j’ai vécu pendant mon service, les défis que j’ai relevés et les choses que j’ai endurées, ce sont des notions que ces mentors n’ont jamais vécues et ne peuvent comprendre à propos de la vie militaire.

J’ai réalisé que, pendant le service actif, tout le monde autour de soi vit exactement la même chose. Tout le monde met son individualité de côté et se concentre uniquement sur la mission qui l’attend. Et justement parce qu’on ne s’identifie pas individuellement, chaque difficulté ou problème « normal » lié au service semble moins bizarre ou unique à soi-même.

La réaction des civiles, qui semblaient choquées ou étonnées par mes récits, m’a vraiment ouvert les yeux sur le fait que les soldates et les soldats sous-estiment le caractère exclusif du service militaire.

Selon vous, qu’ont-elles appris de vous?

Je crois sincèrement qu’elles comprennent beaucoup mieux la réalité de la vie militaire et la grande résilience des femmes et des hommes qui servent, depuis la formation de base jusqu’aux missions en Afghanistan, sans oublier les difficultés auxquelles les familles font face pendant que leurs proches servent dans les Forces armées.

Remarque anodine : je pense aussi que les formidables compagnes qui partageaient ma tente ont également appris que dormir en habits d’hiver, ce n’est pas la meilleure façon de rester au chaud la nuit! J’ai moi-même appris cette leçon il y a près de 20 ans quand, comme jeune recrue, j’ai dû dormir sur le sol gelé. On a bien ri du fait que je sois la seule à me glisser dans mon sac de couchage vêtue d’un simple short et d’un débardeur, alors que les femmes civiles enfilaient leurs manteaux.